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📝 Les mots de Yann Chateau, Directeur de course

Il est des dĂ©parts que l’on n’oublie pas. Celui de Vigo en fera partie, non seulement pour son magnifique parcours cĂŽtier qui a dĂ» rĂ©galer les nombreux spectateurs espagnols et les aficionados des rĂ©seaux et de la cartographie, mais aussi pour cette premiĂšre nuit de combat acharnĂ©. La plupart des terriens pensent que le dĂ©part se cantonne Ă  la premiĂšre heure de course, peut-ĂȘtre parce que c’est le temps qu’ils y ont consacrĂ©, ou peut-ĂȘtre parce que c’est la partie de course la mieux retransmise, mais il n’en est rien. Le dĂ©part peut s’étendre dans le temps, Ă  vrai dire autant que nĂ©cessaire Ă  l’installation d’une hiĂ©rarchie plus durable. Ce dĂ©part de Vigo fut de ceux qui se prolongĂšrent bien au-delĂ  du crĂ©puscule


Le dĂ©but de la suite du dĂ©part commença aprĂšs le passage de la bouĂ©e Paprec, marquant la fin du parcours cĂŽtier. Il restait alors un peu plus de 3 milles nautiques Ă  parcourir pour sortir de la Ria. Trois milles en ligne droite, ou presque, mais le jeu avait dĂ©jĂ  commencĂ©. Chaque trajectoire Ă©tait ajustĂ©e, parfois dĂ©viĂ©e par une risĂ©e un peu plus forte qui descendait de part et d’autre du Monte Castro, parfois pour essayer d’exploiter au mieux un effet de site. Une fois arrivĂ©s au « Cabo de Mome », Ă  la sortie de la Ria, le vent se renforça, canalisĂ© entre les monts terrestres et le relief imposant de la « Isla de Norte ». Les figaristes changĂšrent leurs rĂ©glages, rĂ©adaptĂšrent leur conduite, tout en suivant ou en adaptant leur plan de navigation. Le premier virement fut dĂ©clenchĂ©, rapidement suivi par les autres Figaros. BientĂŽt toute la flotte Ă©volua en bĂąbord, s’enfonçant plus ou moins dans le « refus », une rotation du vent qu’il convient bien souvent d’exploiter. Les premiers Ă  virer pour rejoindre le large misĂšrent sur plus de vent tandis que ceux qui poussĂšrent l’option au plus loin pensaient que tirer profit de l’effet de site restait prioritaire. Ces convictions allaient perdurer pour le passage de la prochaine Ria, oĂč la ville de Sanxenxo s’illuminait sous une lumiĂšre rasant l’horizon. Les « Isla de Onza » et « Isla Ons », deux obstacles naturels, allaient diviser la flotte. L’autoroute du large donnait sur l’ocĂ©an, tandis que le chemin intĂ©rieur protĂ©geait certes des vagues, mais freinait Ă©galement le vent. Pire, l’échappatoire de ce chemin Ă©tait une longue route semĂ©e d’embĂ»ches oĂč il fallait « jouer » dans les cailloux, Ă  travers de nombreuses petites Ăźles.

La VHF rĂ©sonnait souvent. Un concurrent demandait Ă  son adversaire direct s’il l’avait bien vu, affirmant ainsi sa prioritĂ© et son avantage. Un autre lançait un « ça passe devant », espĂ©rant ainsi s’épargner un virement de bord. Il fallait visiblement encore jouer des coudes avant de pouvoir installer cette premiĂšre hiĂ©rarchie. Tout le monde Ă©tait dĂ©sormais tribord amures, il ne pouvait en ĂȘtre autrement pour pouvoir franchir le « Cabo Corrubedo ». La nuit Ă©tait tombĂ©e, les feux de navigation s’allumaient en tĂȘte de mĂąt, se mĂȘlant aux Ă©toiles d’un ciel sans pollution lumineuse. La VHF rĂ©sonnait encore : un rappel Ă  ceux qui auraient tardĂ© Ă  les allumer. La flotte se surveillait, tout le monde devait ĂȘtre bien visible, sans quoi le jeu serait moins drĂŽle.

Les concurrents du « chemin intĂ©rieur » passaient maintenant au nord de la « Isla Salvora ». Le terrain de jeu se resserrait. Il convenait d’évoluer dans une bande de 140 mĂštres de large pour pouvoir rester dans des fonds de plus de 5 mĂštres. Les partisans de cette option s’alignaient de plus en plus, les routes convergeaient car le prochain passage Ă©tait encore plus rĂ©duit, et plusieurs tĂȘtes de roches Ă©taient visibles sur la cartographie. Le premier concurrent s’engagea, passa entre deux cailloux, exploitant ainsi la route la plus courte. La VHF rĂ©sonna Ă  nouveau. La concurrence laissa instantanĂ©ment place Ă  la bienveillance : « À tous les Figaros, soyez prudents, ça dĂ©ferle oĂč je suis passĂ© et c’est trĂšs mal cartographiĂ© ». Le canal de course devint silencieux. Pas question d’occuper de la bande passante alors que des skippers Ă©voluaient encore dans cet Ă©troit chemin. Et puis le silence fut rompu : « À tous les Figaros derriĂšre moi, je viens de talonner, ne suivez pas ma trace ». La voix Ă©tait calme et posĂ©e. L’intonation suffisait pour savoir que le skipper concernĂ© n’était pas en danger. À peine une minute s’écoula avant d’entendre un message similaire, Ă©manant d’un autre concurrent. La crispation devenait palpable. Les trajectoires Ă©taient ajustĂ©es pour passer dans ce qui devenait un trou de souris. Toutes les tĂȘtes de roche n’étaient pas marquĂ©es, et c’était maintenant une ligne parfaite de Figaros qui Ă©voluaient dans les traces de ceux qui Ă©taient passĂ©s.

La VHF resta silencieuse pendant quatre minutes, jusqu’à ce qu’un nouveau message, davantage marquĂ© par l’émotion, ne retentisse : « I hit a big rock, be careful ». Les yeux Ă©taient rivĂ©s sur la trace AIS, le bateau repartit, mais la flotte n’était pas tirĂ©e d’affaire car une dizaine de bateaux devait encore rĂ©ussir Ă  sortir de ce piĂšge. « Attention les gars, Ă  droite de moi ça dĂ©ferle fort ». Les trajectoires furent de nouveau adaptĂ©es, la porte de sortie semblait maintenant trouvĂ©e et la procession de Figaros l’emprunta sans autre incident.

La VHF Ă©mit Ă  nouveau, d’abord de la Direction de course Ă  destination des bateaux qui avaient talonnĂ© pour s’enquĂ©rir de l’état des bateaux et des hommes. Aucun problĂšme structurel et pas de bobos. Heureusement que les Figaros Ă©voluaient Ă  moins de 5 nƓuds dans ce terrible passage. Puis ce furent les skippers qui s’appelĂšrent entre eux, dĂ©gageant sur un autre canal pour discuter, se rassurer ou pour exprimer un peu plus la peur ressentie, parfois sans filtre. L’émotion Ă©tait bien prĂ©sente, certaines voix tremblaient encore. AprĂšs ces mots touchants et bienveillants, le silence s’installa Ă  nouveau, pour quelques instants seulement : « Tu m’as vu, je suis prioritaire ». Les marins redevenaient concurrents, la course se poursuivait, et la hiĂ©rarchie ne semblait pas encore Ă©tablie. Il Ă©tait une heure du matin. Quand serait donc fini ce dĂ©part ?


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