📝 Les mots de Yann Chateau, Directeur de course
- Alexandra Remy
- il y a 1 jour
- 4 min de lecture
Il est des départs que l’on n’oublie pas. Celui de Vigo en fera partie, non seulement pour son magnifique parcours côtier qui a dû régaler les nombreux spectateurs espagnols et les aficionados des réseaux et de la cartographie, mais aussi pour cette première nuit de combat acharné. La plupart des terriens pensent que le départ se cantonne à la première heure de course, peut-être parce que c’est le temps qu’ils y ont consacré, ou peut-être parce que c’est la partie de course la mieux retransmise, mais il n’en est rien. Le départ peut s’étendre dans le temps, à vrai dire autant que nécessaire à l’installation d’une hiérarchie plus durable. Ce départ de Vigo fut de ceux qui se prolongèrent bien au-delà du crépuscule…
Le début de la suite du départ commença après le passage de la bouée Paprec, marquant la fin du parcours côtier. Il restait alors un peu plus de 3 milles nautiques à parcourir pour sortir de la Ria. Trois milles en ligne droite, ou presque, mais le jeu avait déjà commencé. Chaque trajectoire était ajustée, parfois déviée par une risée un peu plus forte qui descendait de part et d’autre du Monte Castro, parfois pour essayer d’exploiter au mieux un effet de site. Une fois arrivés au « Cabo de Mome », à la sortie de la Ria, le vent se renforça, canalisé entre les monts terrestres et le relief imposant de la « Isla de Norte ». Les figaristes changèrent leurs réglages, réadaptèrent leur conduite, tout en suivant ou en adaptant leur plan de navigation. Le premier virement fut déclenché, rapidement suivi par les autres Figaros. Bientôt toute la flotte évolua en bâbord, s’enfonçant plus ou moins dans le « refus », une rotation du vent qu’il convient bien souvent d’exploiter. Les premiers à virer pour rejoindre le large misèrent sur plus de vent tandis que ceux qui poussèrent l’option au plus loin pensaient que tirer profit de l’effet de site restait prioritaire. Ces convictions allaient perdurer pour le passage de la prochaine Ria, où la ville de Sanxenxo s’illuminait sous une lumière rasant l’horizon. Les « Isla de Onza » et « Isla Ons », deux obstacles naturels, allaient diviser la flotte. L’autoroute du large donnait sur l’océan, tandis que le chemin intérieur protégeait certes des vagues, mais freinait également le vent. Pire, l’échappatoire de ce chemin était une longue route semée d’embûches où il fallait « jouer » dans les cailloux, à travers de nombreuses petites îles.
La VHF résonnait souvent. Un concurrent demandait à son adversaire direct s’il l’avait bien vu, affirmant ainsi sa priorité et son avantage. Un autre lançait un « ça passe devant », espérant ainsi s’épargner un virement de bord. Il fallait visiblement encore jouer des coudes avant de pouvoir installer cette première hiérarchie. Tout le monde était désormais tribord amures, il ne pouvait en être autrement pour pouvoir franchir le « Cabo Corrubedo ». La nuit était tombée, les feux de navigation s’allumaient en tête de mât, se mêlant aux étoiles d’un ciel sans pollution lumineuse. La VHF résonnait encore : un rappel à ceux qui auraient tardé à les allumer. La flotte se surveillait, tout le monde devait être bien visible, sans quoi le jeu serait moins drôle.
Les concurrents du « chemin intérieur » passaient maintenant au nord de la « Isla Salvora ». Le terrain de jeu se resserrait. Il convenait d’évoluer dans une bande de 140 mètres de large pour pouvoir rester dans des fonds de plus de 5 mètres. Les partisans de cette option s’alignaient de plus en plus, les routes convergeaient car le prochain passage était encore plus réduit, et plusieurs têtes de roches étaient visibles sur la cartographie. Le premier concurrent s’engagea, passa entre deux cailloux, exploitant ainsi la route la plus courte. La VHF résonna à nouveau. La concurrence laissa instantanément place à la bienveillance : « À tous les Figaros, soyez prudents, ça déferle où je suis passé et c’est très mal cartographié ». Le canal de course devint silencieux. Pas question d’occuper de la bande passante alors que des skippers évoluaient encore dans cet étroit chemin. Et puis le silence fut rompu : « À tous les Figaros derrière moi, je viens de talonner, ne suivez pas ma trace ». La voix était calme et posée. L’intonation suffisait pour savoir que le skipper concerné n’était pas en danger. À peine une minute s’écoula avant d’entendre un message similaire, émanant d’un autre concurrent. La crispation devenait palpable. Les trajectoires étaient ajustées pour passer dans ce qui devenait un trou de souris. Toutes les têtes de roche n’étaient pas marquées, et c’était maintenant une ligne parfaite de Figaros qui évoluaient dans les traces de ceux qui étaient passés.
La VHF resta silencieuse pendant quatre minutes, jusqu’à ce qu’un nouveau message, davantage marqué par l’émotion, ne retentisse : « I hit a big rock, be careful ». Les yeux étaient rivés sur la trace AIS, le bateau repartit, mais la flotte n’était pas tirée d’affaire car une dizaine de bateaux devait encore réussir à sortir de ce piège. « Attention les gars, à droite de moi ça déferle fort ». Les trajectoires furent de nouveau adaptées, la porte de sortie semblait maintenant trouvée et la procession de Figaros l’emprunta sans autre incident.
La VHF émit à nouveau, d’abord de la Direction de course à destination des bateaux qui avaient talonné pour s’enquérir de l’état des bateaux et des hommes. Aucun problème structurel et pas de bobos. Heureusement que les Figaros évoluaient à moins de 5 nœuds dans ce terrible passage. Puis ce furent les skippers qui s’appelèrent entre eux, dégageant sur un autre canal pour discuter, se rassurer ou pour exprimer un peu plus la peur ressentie, parfois sans filtre. L’émotion était bien présente, certaines voix tremblaient encore. Après ces mots touchants et bienveillants, le silence s’installa à nouveau, pour quelques instants seulement : « Tu m’as vu, je suis prioritaire ». Les marins redevenaient concurrents, la course se poursuivait, et la hiérarchie ne semblait pas encore établie. Il était une heure du matin. Quand serait donc fini ce départ ?